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7 janvier 2009 3 07 /01 /janvier /2009 00:57

nvité ce matin-là1 sur France Culture à discutailler le bout de gras, entre deux tronches de couenne, celle toute en rondeurs d'Alexandre Adler et celle faussement bonhomme d'Olivier Duhamel, à la sauce respectivement omnisciente et Sciences-Po, un certain Olivier Roy, agrégé de philosophie et directeur de recherche au CNRS, présenté comme un "spécialiste de l'islam". Là pour tenir le crachoir de la répartie, tel le gang des potiches, outre les deux hurluberlus sus-mentionnées, l'outre-tombesque Alain-Gérard Slama et un animateur-interactif2, une dénommée Caroline Fourest, officiant elle aussi à titre d'expertisologue et par chance sur le même sujet, l'islam, fond de commerce florissant sur le marché des idées dans le vent et lucratives.


Dans sa chronique du jour consacrée à la politique européenne de Nicolas Sarkozy, tout en ronds de jambe - un pas en avant, un pas en arrière pour ménager le Prince et prévenir les aléas d'un futur que l'envergure de sa propre pensée ne parvient pas toujours à totalement résorber3 – l'unijambiste bicéphale Alexandre Adler, par sa promotion quasi-quotidienne du télé-travail4, nous rappelle que la fonction de laquais des pouvoirs, surtout pour un ancien marxiste-léniniste, requiert toujours un minimum de souplesse.

Quelques minutes plus tard, c'est au tour de l'eurolâtre bêlant, le post-traumatisé du 29 mai 2005, Olivier Duhamel, d'exercer ses talents de contorsionniste et de convenir, après les circonlocutions d'usage qui circonscrivent aux marges la pertinence de toute critique, qu'appeler les Irlandais à revoter est une semonce à laquelle il n'aurait certainement pas daigné se soumettre, quelques temps après les y avoir sommés.



De ce ramassis de sommités, de cet agrégat de doctes paroles, la voix de l'animateur-bonimenteur Ali Baddou est là pour garantir la promotion, et celle accessoire de l'invité, d'en assurer la liaison, manière d'interlude. Le prétexte à caqueter ce jour-là était les raisons des différentes conversions religieuses contemporaines. L'animateur-dénominateur du sens commun ne dérogea pas à son statut d'intermittent du bavardage durable, et au détour d'un de ses ronflants ânonnements, bafouilla à Olivier Roy avec la naïveté assurée du préposé aux sermons: « Comment expliquer ce paradoxe, cette tension, que ce qui semble le signe d'un repli sur soi, le signe d'une identité fermée soit en même temps concomitant du développement, de l'ouverture des relations, de la possibilité d'interagir, comme ça n'a jamais été possible jusqu'à présent dans l'histoire...? » Tout est là synthétisé, résumé, amalgamé pour former ce "paradoxe" qui heurte et offense l'opinion du moderne, en contrarie le réalisme naïf. La contradiction qu'il croit déceler n'est que la forme ramassée des chimériques oppositions qui hantent son petit monde intelligible et imaginaire et qui s'organisent en une structure normative et binaire. Le point d'appui archimédien de tout ce flan conceptuel, et qui n'a d'autre consistance que ce qui en organise la texture, à savoir l'association convenue de mots, d'images, de figures – et de manière générale, le simple renvoi de... à... – , n'est jamais autre chose que la factualité brute, dépouillée de toute substance, relation ou généalogie, mais qui a ici plus de charme et d'intérêt que quand elle prend la figure de l'excision, de la polygamie ou encore de l'initiation rituelle.







A son crédit néanmoins, on peut convenir qu'à l'heure de la libre circulation des biens, des marchandises et des hommes – établie du fait de l'indéniable équivalence de leur "valeur" - il paraît bien saugrenu qu'ici ou là subsistent encore des formes qui contreviennent à son extension illimitée ou à son développement spontané, qu'ici ou là des identités, des croyances, des pratiques, autrement dit des manières d'être autres en prorogent l'avènement en opposant les formes de résistance qu'elles imaginent, et on peut enfin s'étonner avec lui que tous ces crimes inconsciemment perpétrés contre la modernité ne soient pas autrement condamnés, même s'ils sont déjà condamnables. En effet, comment tolérer qu'existent ces dispositions mentales débiles et demeurées alors que dans le même temps et à l'échelle mondiale s'émancipent de toute contrainte ce  que nos juridictions tatillonnes réprouvent, ces manières raffinées de civilité qui ont pour nom "prostitution des enfants" , "trafic d'organes" ou encore "tourisme-sexuel"? Comment admettre la réticence et le refus de populations entières à ce qui est présenté comme la pointe avancée de la modernité, qui se décline en une multitude de termes inconsistants et fourre-tout, comme par exemple selon Ali Baddou, le « développement », « l'ouverture des relations » ou encore la « possibilité d'interagir »? D'autant qu'il faut une résurgence malheureuse d'atavismes primitifs jusque-là larvés, une atrophie du bulbe cérébral bien prononcée et une propension notoire à la servitude volontaire pour ne pas immédiatement voir tout le bénéfice qu'on peut tirer de la « possibilité d'interagir », quand on apprend par surcroît que cela n'avait «  jamais été possible jusqu'à présent dans l'histoire... »


Mais quand il s'agit d'adaptation rien n'est jamais trop docile, et surtout pas le langage, objet lui aussi d'une rééducation préventive et dont il s'agit de mettre au pas les diverses formes retorses. Les mots manquent-ils qu'un nouvel usage du langage s'impose séance tenante, et ce d'autant plus que la suffixation fantaisiste d'un anglicisme est sans nul doute l'indice irréfragable qu'une langue est encore vivante quand elle se prête à une malversation des plus indues. Ainsi, Ali Baddou s'interroge-t-il: « Pourquoi est-ce que ce discours de la revivalisation du religieux, le discours du born again pour parler anglais - on a du mal à trouver les mots pour qualifier ce phénomène très contemporain - pourquoi est-ce que ce discours est celui d'une déception? » Hésitations compréhensibles du locuteur, désappointement plus sûr de l'auditeur. Ici, sans doute touche-t-on à l'indicible, sachant d'ailleurs que n'importe quoi a peu de synonymes et qu'Ali Baddou en fait, à tort, un usage parcimonieux. Là, une pauvreté affligeante du vocabulaire de la langue française qui n'offrait à notre animateur-prestidigitateur verbal que de piètres et inusités expédients lexicaux (renaissance, renouveau, résurgence, reprise, regain, redémarrage, régénération, retour, réapparition, résurrection, réveil, revitalisation…), et notamment les mots « revivification » et « reviviscence »5, le premier d'usage technique, le second ambigu puisqu'il pouvait aussi bien qualifier l'objet du discours que l'espérance qu'auraient pu faire naître l'apparition de ses premiers symptômes chez son auteur6, mais surtout affecté d'un défaut rédhibitoire, puisque emprunté au latin chrétien du IVe siècle reviviscentia et attesté en français dès le XVIe siècle. Et comme le constate le ô combien pétillant Badou, «  on a du mal à trouver les mots pour qualifier ce phénomène très contemporain », surtout dans une langue qui trouve ses racines dans l'indo-européen et comporte encore quelques verrues d'origine grecque, latine et gauloise - tous ces stigmates d'un autre âge - et autant d'exceptions, et quand l'orthopédie moderne du langage a moins comme finalité de faciliter la désignation de phénomènes soi-disant nouveaux que de nous faire oublier ceux plus anciens, autrement instructifs.


La reddition de la langue ne saurait souffrir aucun délai et la mise en place de dispositifs qui en contiennent les débordements, en contraignent les frasques, en inhibent les bizarreries en en éliminant tout caractère vernaculaire ou historique se doit de calquer ses méthodes et ses principes sur ce qui ailleurs et chaque jour empiète un peu plus sur les vies, en infléchit les comportements spontanés, en modèle et uniformise les motivations. Le commerce des mots – sans même parler de celui des idées - , déclinaison à l'usage de la langue de celui qui régit de plus en plus l'ensemble de nos activités, leur emprunte maintenant non seulement leur tournure mais aussi leur substance, autorisant Olivier Roy à débiter sans l'ombre d'une hésitation que la « déculturation du religieux fait qu'on a un produit d'abord qui est très simple (…) et un produit qui fonctionne dans tous les contextes culturels, donc un produit qui marche très bien à l'exportation. » Ce à quoi quelques minutes plus tard, pour ne pas être en reste, faisait écho l'épiphénomène conceptuel Caroline Fourest, soulignant quant à elle que «  ce sont les formes de radicalisme religieuses les plus formatées et déculturées qui gagnent des parts de marché... »




De cette « 
prostitution du langage »7 dont parlait Castoriadis, paradoxalement susceptible de lui permettre à chaque fois de « retrouver une virginité intacte », il semble qu'il ne reste que le souvenir que les quelques lignes qu'il y consacra nous évoque, lorsque cet avilissement ne se monnayait pas contre ces catégories auxquelles tout est désormais réduit.8


 

1. France Culture, vendredi 12 décembre 2008.

2. Ancien élève au Lycée Henri IV, agrégé de philosophie qui "après quelques papiers dans la presse écrite" est entrée à France Culture. La voie royale.
3. "
Dans sa chronique du Figaro (29-30 septembre 2007), notre expert favori en géopolitique prophétisait : « Les États-Unis s’acheminent vraisemblablement vers un conflit entre les deux candidats de New York, Hillary Clinton et Rudy Giuliani, l’une ayant soutenu initialement la guerre contre l’Irak, l’autre acceptant en matière de mœurs l’essentiel du programme démocrate. » Alors que Giuliani s’est retiré au profit de John McCain, et que les primaires démocrates ont déjoué les prévisions d’Alexandre Adler : Barack Obama a devancé Hillary Clinton."

Acrimed Les facéties d’Alexandre Adler : Ouverture de la chasse aux hitléro-trotskistes, Acrimed, 22 octobre 2008.
4,. En 2004 d'après
Libération, Alexandre Adler gagnait l'équivalent de 3 800 par mois  pour cinq ridicules chroniques hebdomadaires, la plupart faites depuis son téléphone portable, quand elles ne sont pas pré-enregistrées.
5. Il n'était pas bien difficile de comprendre que
revival est dérivé du latin revivere, qui a donné revivre, et que sa signification est empruntée au mot renaissance, comme dans "renaissance des lettres" (Dictionnaires d'étymologie de langue française et anglaise). Tout ça pour dire, sans prétention philologique, qu'il était bien spécieux d'invoquer l'indicible caractère contemporain des phénomènes visés.

6. La reviviscence est l'action de reprendre vie mais aussi la propriété que possèdent certains êtres inférieurs de reprendre une vie active après une période de dessication. On en attend les premiers signes chez les chroniqueurs de la tranche matinale d'information de France Culture.

7. Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Points seuil Essais, Paris, 1999, p. 322.

8. Une écoute distraite du début de l'émission a fait que j'ai ommis d'en retranscrire le contenu, alors qu'elle en résumait déjà tout l'esprit, notamment dans ce "revivalisme"...



illustration: Pablo Picasso, Au théâtre: scène dans le style des Mille et une nuits, 16 Novembre 1966, Paris, Musée Picasso.

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20 décembre 2008 6 20 /12 /décembre /2008 23:05

'après un article du journal Le Monde1, Eric Besson, adepte occasionnel de l'autocritique2 aux relents staliniens, rallié sur le tard mais à point nommé à Nicolas Sarkozy quelques jours avant le premier tour des dernières élections présidentielles, serait sur le point de rejoindre le parti majoritaire. De celui qui à ce moment-là déclarait: « j'ai le sentiment aujourd'hui que les valeurs auxquelles je crois, les convictions que j'ai sont, paradoxalement, mieux portées par un candidat républicain de droite que par la candidate du Parti socialiste »3, la journaliste au Monde, Sophie Landrin note, certainement dans le souci de signaler que cela va dans le bon sens, c'est-à-dire celui de l'histoire, qu'il « s'apprête à franchir un nouveau tabou.4 » A pied ou à dos d'âne, l'article ne le précise pas, ni combien d'autres obstacles à enjamber se profilent pour lui à l'horizon, et dont tous ceux, moribonds et exténués, qui gisent autour de nous, jalonnant l'histoire de la modernité, rappellent qu'ils furent en leur temps courageusement surmontés.





 


 


 



Là où le tabou n'était il y a peu qu'un autre nom du respect ou de la pudeur, l'entreprise moderne y voit un frein à son plein exercice et une contrariété qui incommode sa réalisation. Toute forme d'interdiction, fût-elle tacitement partagée, doit être levée par sa dénonciation, et à ce titre, ce qu'il reste de convictions, de loyauté ou d'honnêteté est de nos jours suspect, dans la mesure où ils dénotent un type anthropologique qu'il est justement question d'éradiquer. Aux quelques qui seraient encore pourvus de ces trop rares vertus, et qui comme luxe et « richesse suprême »5, comme le signale Jean-Claude Michéa, n'ont de bien précieux que l'accord avec eux-mêmes, le qualificatif de subversif leur est dorénavant attaché, signe d'un manquement certain, dorénavant prohibé, et avec tout ce que cela implique.

Ce nomadisme idéologique rampant d'un Eric Besson, qu'affecte la première brise, et qui au gré des courants, s'adapte en conséquence et toujours dans le sens du vent, « s'avoue "sans état d'âme" », et même « à l'aise. Très. Trop ! ». Et c'est en effet le contraire qui aurait pu étonner. « J'assume totalement le fait d'être partie prenante de la majorité », dit-il, au moment où il aurait pu lâchement se défiler en invoquant le destin de l'Être, mais où d'autres seraient peut-être fondés à y voir plus sûrement une manière d'arriviste. Car l'ambition est devenue vertu cardinale:"C'est le premier de la classe", rapporte le cancre Jean-Marie Bocquel, mauvais élève du gouvernement, mention médiocre, en voie de réorientation. Surtout quand l'ambition peut s'autoriser, comme chez Eric Besson, des atours de la modernité, dont le chatoiement hypnotique vaut comme autant de rappels à l'ordre: « J'ai voté Nicolas Sarkozy au premier et au second tour. Il a fait bouger les lignes politiques, il n'est pas prisonnier de dogme. » Et il est vrai qu'ils sont peu à ne pas succomber à tout ce qui « bouge », à tout ce qui « change », qui « avance», qui « innove », « réforme », et qu'il serait sans doute vain de leur rappeler le sens des mots et leur usage servile.



1. L'ancien socialiste Eric Besson devrait devenir "une lame de l'UMP", Le Monde, 20 décembre 2008.

2. Réunion publique de l'UMP, 23 avril 2007, Dailymotion.

3. Eric Besson va "coordonner" le pôle de gauche de l'UMP, Le Nouvel Observateur, 23 avril 2007.

4. On apprenait quelques jours plus tard, dans le même journal, conernant cette fois la "géo-ingénierie", présentée comme une technique qui permettrait d'artificiellement refroidir le climat, qu'elle bénéficie dorénavant d'une "levée du tabou", alors que cette réjouissante perspective était il y a encore deux ans ostracisée et objet de condamnation.

L'ingénierie du climat, un remède controversé, Le Monde, 22 décembre 2008.

5. Jean-Claude Michéa, L'empire du moindre mal, Paris, Climats, 2007, p. 210.


Illustration: Captifs provenant du décor du piédestal de la statue équestre d'Henri IV sur le Pont Neuf, Sculptures en bronze (fonte à la cire perdue), Bordoni Francesco, 17e siècle, Paris.

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17 décembre 2008 3 17 /12 /décembre /2008 03:40
l s'est trouvé que, sur cette planète, au long de milliards d'années, un bio-système équilibré comportant des millions d'espèces vivantes différentes s'est déployé et que, pour des centaines de milliers d'années, les sociétés humaines ont réussi à se créer un habitat matériel et mental, une niche biologique et métaphysique, en altérant l'environnement sans l'endommager. Malgré la misère, l'ignorance, l'exploitation, la superstition et la cruauté, ces sociétés sont parvenues à se créer à la fois des façons de vivre bien adaptées et des mondes cohérents de significations imaginaires d'une richesse et d'une variété stupéfiantes.
Posons le regard sur la vie au XIIIe siècle, promenons-le de Chartres à Borobudur et de Venise aux Mayas, de Constantinople à Pékin et de Kublai-Khan à Dante, de la maison de Maïmonide à Cordoue jusqu'à Nara et de la Magna Carta jusqu'aux moines byzantins copiant Aristote ; comparons cette fantastique diversité avec la situation présente du monde, où les pays ne diffèrent pas vraiment les uns des autres en fonction de leur présent - lequel, comme tel, est partout le même -, mais seulement en fonction des restes de leur passé. C'est cela, le monde "développé". »



             
     
             
     
             


Cornélius Casstoriadis, Domaines de l'homme - Les carrefours du labyrinthe II, Points Seuil Essais, Paris, 1999, p. 186.
Illustrations: Diego Homem (Diegus Home), Cosmographus fecit hoc opus anno salutis, Atlas nautique de la Mer Méditerranée, de la Mer Noire et de l'Océan Atlantique nord-est, 1558-59.
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17 décembre 2008 3 17 /12 /décembre /2008 02:26
n tant qu'entreprise de domination militaire et politique, le colonialisme a en principe pris fin. Maisses conséquences semblent irréversibles. Les pays industrialisés continuent d'utiliser le potentiel économique des régions dominées comme source d'approvisionnement en matières premières minérales et agricoles, et comme débouché pour les innombrables productions dont ils ont le monopole de fait (de biens élaborés, mais aussi de pratiquement tous les services). Ils concentrent un maximum d'activités productives (et donc d'emplois), puisque leurs entreprises, depuis fort longtemps transnationales, ont le monde pour champ d'action. Ainsi, tout se passe comme s'ils étaient autorisés àdisposer d'un territoire considérablement plus vaste que celui que leur reconnaît le droit international. Seule différence avec l'époque coloniale: I'annexion territoriale est désormais assurée par la concurrence économique et par la liberté des échanges.

Ce déséquilibre fondamental en a entraîné beaucoup d'autres, notamment au plan démographique. Car si la trop rapide augmentation de la population du tiers monde pose un problème inquiétant pour l'avenir, la surpopulation du monde industrialisé, en particulier de l'Europe et du Japon, en pose un à première vue insoluble - ou qui le deviendrait si le tiers monde se développait, c'est-à-dire s'il affectait les ressources de son sol et de son sous-sol à la satisfaction de ses besoins internes.

         
 


 
       

Cette éventualité paraît il est vrai peu probable. D'autant qu'en incorporant le tiers-monde à leur système économique (et en favorisant une organisation des pouvoirs qui confère la décision économique à une minorité), les pays capitalistes y ont introduit leur système de valeurs. C'est pourquoi la terre n'a plus pour fonction première d'assurer l'existence de la société qui l'occupe, mais d'enrichir ceux qui la possèdent. Dès lors, ce qu'elle produit dépend des besoins des acheteurs solvables, qui se trouvent être, pour l'essentiel, les pays industrialisés eux-mêmes.
Prélevant n'importe où les ressources qui leur sont nécessaires (puisqu'il suffit de les acheter), ces pays peuvent avoir l'impression qu'elles sont inépuisables. Cette impression est d'ailleurs entretenue par la manière dont ils évaluent les résultats des activités économiques: la reproduction du capital et de la force de travail étant assurée, il n'y a pas lieu de prendre en compte celle du milieu, ni d'ailleurs celle de la population non incorporée à l'appareil de production. Ainsi peuvent-ils se comporter comme des hordes de pillards, qui laissent derrière eux le désert en s'en allant ailleurs s'emparer de nouvelles richesses. A cela, il faut ajouter que la croissance à laquelle ils sont condamnés, du fait de leur construction sociale hiérarchisée et de la concurrence à laquelle ils se livrent, les oblige à ce comportement qui finira par devenir suicidaire.

Par ses prélèvements de ressources non renouvelables et par la surexploitation de celles qui le sont, comme par ses rejets et pollutions, le système industriel rend de plus en plus problématique la régénération du milieu dont dépend la vie sur terre. Mais qu'adviendrait-il si cinq à six milliards d'individus produisaient et consommaient autant que l'Européen ou l'Américain moyen ? Il est par trop évident que le développement, tel qu'il se produit dans le monde industrialisé, n'est pas généralisable. Le déséquilibre dont celui ci bénéficie ne peut pas être redressé par "le haut ". Le problème n'est donc pas de construire le tiers-monde à l'image des pays développés, mais bien plutôt de reconstruire ces derniers sur des bases nouvelles."



François Partant, Retour à l'autonomie, Revue Tricontinental, 1982.

Photos: Felice Beato, Photographies anthropologiques d'habitants de l'Afrique du Nord, Collection du Prince Roland Bonaparte.
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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 03:00

out était réuni1 Un ramassis de brontosaures - et notamment un, «né du vivant de Lénine » - dont les vieilles lunes, qui leur tiennent lieu de chandelles, éclairaient le peu d'esprit qu'il leur reste, auréolant la tombe du défunt, de cette lumière pâle qui faisait sporadiquement scintiller les miettes d'idéologie ici et là encore éparses. Je ne sais si le défunt Pierre Lambert, 87 ans, trotskiste, aurait apprécié ce cortège funèbre qui faisait « allées combles au cimetière parisien du Père-Lachaise », où 1500 personnes déambulaient religieusement, et parmi lesquelles Francis Lalanne tentait de compenser, comme il le pouvait, l'absence de Lionel Jospin. Enfin, c'est ce qu'il s'est écrit.

Tout cela, un dénommé Renaud Dely, actuel rédacteur adjoint de Marianne, sorte de préposé accrédité par la modernité à l'excavation, dépêché sur place plus par malice que par oisiveté, se fit un devoir scrupuleux de le répertorier, consignant les us et coutumes de cette tribu aux représentations étrangement décalées et dérisoires, et pour tout dire odieuses. Qu'une atmosphère aux relents qui fleurent la préhistoire de l'humanité en en singeant les jours tardifs, que des vestiges d'une époque sans âge puissent subsister dans un temps qui se veut continuellement neuf, que tout cela intrigue au point d'inspirer commisération et sarcasmes - alors que Paris-plage ou la journée sans achat devraient, sans que pour autant il n'en soit jamais rien, provoquer une semblable réaction nauséeuse ou moqueuse - ne laisse pas pour autant d'interroger. Pour le microcosme ouaté, exalté et fun qui, à longueur d'année, dispense ses homélies sur les derniers cultes qu'il sied de célébrer, exonère de ses railleries les plus méritants en n'omettant pas de morigéner les moins dociles, il ne semble tâche plus urgente que, de ce que Philippe Muray appelait la « vieille humanité », en liquider définitivement les derniers restes. Car la vieille humanité contrarie le projet moderne en ce qu'elle perpétue ce qu'il n'a de cesse de réprouver: tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, défie le temps, en outrage l'éternelle virginité, à savoir toute forme, ne serait-ce qu'embryonnaire, de culte, d'héritage, de dette, de tradition, de filiation, d'obligation ou même de référence au passé, fut-elle la plus allusive.

C'est à partir de cette tradition de la tabula rasa que notre candide-reporter finit, épouvanté et consterné, par découvrir les pratiques cultuelles d'une humanité en voie d'extinction, le monde sordide et grotesque des « sermons de quelques hiérarques », « l'Internationale », « le poing levé », et fatalement « la mine sombre ». Les lendemains qui chantent n'invitent pas forcément à sourire, excepté pour ceux pour qui, à quelques lieux de là, frémissent les agréments afférents au processus de mondialisation, dont l'heureux dénouement ne fait déjà sans doute plus à leurs yeux aucun doute.



   
   


1. Renaud Dély, Obsèques de Lambert: Lalanne a remplacé Jospin... , Marianne, 25 janvier 2008.

Photo: - W. R. Negashima et la princesse Kanako Katsura aux funérailles du dernier prince Katsura, Tokyo, Agence Rol.

- Funérailles de Lord Roberts, église Saint-Paul (Londres), 1914, Agence Rol.

- Funérailles de Chavez, le cortège sur les Grands Boulevards (corbillards portant des couronnes de fleurs), 1910, Agence Rol.

- Obsèques, corps prêt à être incinéré (Balkans ?), 1913, Agence Rol.

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3 décembre 2008 3 03 /12 /décembre /2008 01:39

our paraphraser Castoriadis1, "ultra-gauche", "arnarcho-autonome", "gauche radicale", "nihiliste", etc. «  ne sont que des noms de plume ou de guerre de la raison » d'État, lorsque nécessité et suffisance, occurrences préparées de longue date, exigent d'en faire l'usage qu'impose le climat que leur innocente énonciation suffit à créer. Ils ne recouvrent que partiellement ce qu'ils s'échinent à occulter, l'état d'exception, devenu la règle, lorsqu'à l'horizon se profilent les périls d'un terrorisme imaginaire, dont l'évocation, précieuse et profitable prévention, autorise par hasard à en prolonger indéfiniment le caractère transitoire.

Il y a quelques jours de cela2 - en guise de rappel pour tous ceux qui s'imaginaient que l'exception n'était pas encore tout à fait la règle - de cet état, on apprenait par un procureur de la république, une dénommée Chantal Firmigier-Michel, qu'il était souhaitable d'en continuer les vertus coercitives, en exerçant à l'encontre de tous et de chacun, ici des collégiens, un contrôle qui ne pouvait trouver de répit, parce qu'administré selon l'économie d'une entreprise durable, à la mesure du mal qu'elle avait pour mission d'endiguer. De fait, tout incline à ce qu'alors elle déclara: «Les élèves ont peur de ces contrôles, ça crée de la bonne insécurité, satisfaisante à terme en matière de prévention.»

Cette "bonne insécurité", ce climat de terreur et de suspicion, dont la délation n'est jamais que le dernier maillon mais souvent aussi le premier ressort, cette police ou cette discipline de soi par soi, qui finiront bien par être intériorisées et valorisées, tout cela, s'exerçant avec la parcimonie et la discrétion qui conviennent au maintien de l'ordre, rappelle à chacun, qu'au delà des formules incantatoires (« démocratie », « état de droit », etc.), rien le ne préserve du pire.



 

 


Comme autant d'oripeaux subversifs, la modernité décomplex(ifi)ée agite tous les signes ou symboles qu'elle a précautionneusement et au préalable assimilés et digérés 3, tous ceux qu'elles a rendus inoffensifs et sans efficace propre - quand elle ne les a pas falsifiés à cette fin - 4, tous ceux qu'elle a stérilisés et anesthésiés5, bien avant qu'ils n'aient gangréné le corps social - même si elle s'emploie, le plus souvent en temps de crise, à magiquement les conjurer -, tous ceux qui de manière rétrospectivement préventive ont été amalgamés dans le discours de la propagande politique, publicitaire et marketeuse. Du peu qu'il reste d'irréductiblement radical, diffus et incertain aussi bien dans son émission que dans sa réception, elle croit encore y déceler une menace délétère, y pressent un danger mortifère, attitude réflexe qu'appellent, en général, les situations catastrophiques pour le vivant. Mais de quel principe vital la modernité serait-elle l'expression? La "démocratie", à en croire la préposée aux déclarations lénifiantes et martiales, Michèle Alliot-Marie.

Mais la démocratie, dans sa forme actuelle, et n'en étonne notre thuriféraire de la thanatologie, est un "régime terminal"6, un corps idéologiquement mort, un cadavre pourrissant d'espérances dont chacune a été soigneusement putréfiée, un vocable désincarné et exsangue, une relique sans histoire et sans avenir, parce qu'exempte a priori, du fait notamment des formules toutes faites qui en vantent les indéfectibles vertus, de critiques. Castoriadis notait qu'« on n'honore pas un penseur en louant ou même en interprétant son travail, mais en le discutant, le maintenant par là en vie et démontrant dans les actes qu'il défie le temps et garde sa pertinence. » 7 Il n'en va pas autrement de toute forme d'institutions, surtout quand le constat de mort cérébrale est, contre toute évidence, célébré comme un signe de vitalité.


1. Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Points seuil Essais, Paris, 1999, p. 327.

2. Libération.

3. Par exemple ici ou .

4. On pourra comparer la version falsifiée de l'article de Jean Jaurès (ici, et en bas de page du discours de Laurence Parisot), que la patronat fait circuler, à la reproduction de la version originale, qu'on trouvera ici. Michel Rocard fait un usage (ici) de la première qui dépasse et de de loin la vérité historique. On aura compris que cette usage est, dans un sens péjoratif, idéologique, mais surtout malhonnête; copie du texte dont on attend encore, pour invalider l'affirmation selon laquelle elle serait un faux, qu'il en fournisse la version originale. Pour plus d'informations, voir ici.

5. Ici, , ou ailleurs, etc.

6. Philippe Muray, Festivus festivus, Champs Essais, Paris, 2008, p. 65.

7. Cornélius castoridias, Domaine de l'homme, Points Seuil essais, Paris, (à préciser).


Illustration: Reigl Judit, Dérapage contrôlé (Encre de Chine sur papier d'emballage), 20e siècle, Musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou, Paris.

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 01:03





a vision de l'homme dans l'univers bureaucratique tend à évoluer: il y a, dans les secteurs "avancés" de l'organisation bureaucratique, passage de l'image de l'automate, de la machine partielle, vers l'image de la "personnalité bien intégrée dans un groupe", parallèle au passage noté par les sociologues américians (notamment Riesman et Whyte) des valeurs de "rendement" aux valeurs d'"ajustement". La pseudo-rationalité "analytique" et réifiante tend à ceder la place à une pseudo-rationalité "totalisante" et "socialisante" non moins imaginaire. Mais cette évolution, bien qu'elle soit un indice très important des fissures et finalement de la crise du système bureaucratique, n'en altère pas les significations centrales. Les hommes, simples points nodaux dans le réseau des messages, n'existent et ne valent qu'en fonction des statuts et des positions qu'ils occupent sur l'échelle hiérarchique. L'essentiel du monde, c'est sa réduction à un système de règle, y compris celles qui permettent d'en "calculer" l'avenir. La réalité n'existe que pour autant qu'elle est enregistrée, à la limite le vrai n'est rien et le document seul est vrai."


Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Points Seuil Essais, 1999, Paris, p. 239-40.
PS: les images qui apparaissent à la fin de la vidéo et qui pointent vers des sites certainement pornographiques ne sont en rien le fait de l'auteur de ce blog, malgré son passé trouble.
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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 00:04




« Make money, my son, honestly if you can, but make money - « Gagne de l'argent, mon fils, honnêtement si tu peux, mais gagne de l'argent. » (Proverbe des Ploutocrates américains.) »


Pierre Leroux, De la ploutocratie, ou Du gouvernement des riches.

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26 novembre 2008 3 26 /11 /novembre /2008 21:31

« Ô misérable avortement des principes révolutionnaires de la bourgeoisie ! ô lugubre présent de son dieu Progrès ! Les philanthropes acclament bienfaiteurs de l'humanité ceux qui, pour s'enrichir en fainéantant, donnent du travail aux pauvres ; mieux vaudrait semer la peste, empoisonner les sources que d'ériger une fabrique au milieu d'une population rustique. Introduisez le travail de fabrique, et adieu joie, santé, liberté; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d'être vécue.

Et les économistes s'en vont répétant aux ouvriers : Travaillez pour augmenter la fortune sociale ! et cependant un économiste, Destut de Tracy, leur répond :

« Les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise ; les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre. »

Et son disciple Cherbuliez de continuer:

« Les travailleurs eux-mêmes, en coopérant à l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard, doit les priver d'une partie de leur salaire.»

 


     
 
     

 

Mais, assourdis et idiotisés par leurs propres hurlements, les économistes de répondre : Travaillez, travaillez toujours pour créer votre bien-être ! Et, au nom de la mansuétude chrétienne, un prêtre de l'Église anglicane, le révérend Townshend, psalmodie : Travaillez, travaillez nuit et jour ; en travaillant, vous faites croître votre misère, et votre misère nous dispense de vous imposer le travail par la force de la loi. L'imposition légale du travail « donne trop de peine, exige trop de violence et fait trop de bruit ; la faim, au contraire, est non seulement une pression paisible, silencieuse, incessante, mais comme le mobile le plus naturel du travail et de l'industrie, elle provoque aussi les efforts les plus puissants »

Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles,.travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste. »


Paul Lafargue, Le droit à la paresse.


Illustrations: Duane Hanson, Supermarket Shopper (1970) et Tourists II (1988).

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26 novembre 2008 3 26 /11 /novembre /2008 17:26

l est certain que [la] lutte commence, demeure longtemps, retombe presque toujours à nouveau, dans l'ambiguïté. Et comment pourrait-il en être autrement? Les opprimés, qui luttent contre la division de la société en classes, luttent contre leur propre oppression surtout; de mille façons ils restent tributaires de l'imaginaire qu'ils combattent par ailleurs dans une de ses manifestations, et souvent ce qu'ils visent n'est qu'une permutation des rôles dans le même scénario. Mais très tôt aussi, la classe opprimée répond en niant en bloc l'imaginaire social qui l'opprime, et en lui opposant la réalité d'une égalité essentielle des hommes, même si elle maintient autour de cette affirmation un vêtement mythique:


           


Wenn Adam grub und Eva spann,

Wo war denn da der Edelmann?

(Lorsque Adam piochait et Eve filait

Où était donc le noble?)

chantaient les paysans allemands au XVIe siècle, en brûlant les châteaux des seigneurs."


Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Points Seuil Essais, Paris, 1999, p. 235.


Illustrations: Lindner Richard, Études pour "et Eve", 1970, Musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou, Paris.

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