Si la différence introduit l’altérité, découvrant l’autre dans le même, et ébranlant par là la plénitude de l’être, elle voit en politique sa pertinence reléguée au rang de vieux tic compulsif, faisant de l’idée de clivage ou d’opposition le symptôme caractéristique d’une pensée archaïque et rétrograde. Pour le monisme politique, seule a droit de cité la différence logique et vide1, formalité qu’intronise le vote, n’offrant le plus souvent qu’une alternative qui n’est autre que nominale.
Paradoxalement, il semblerait qu’il faille que les hasards de la fortune, auxquels s’adjoindrait une pratique scrupuleuse de l’analyse, vous aient gracieusement doué d’une capacité discriminante d’une acuité peu ordinaire, ne s’attachant même plus à considérer ce qui est essentiel mais se satisfaisant sans peine de l’anecdotique, pour entrapercevoir non plus ce qui oppose mais simplement différencie la droite de la gauche de « gouvernement »2 . Cette subtile et rare disposition s’apercevra sans doute rapidement qu’elle travaille à vide mais ne s’étonnera pas moins que, dans cette indistinction, des thèmes habituellement dévolus3 aux discours et pratiques de droite - voire d’extrême droite - (sécurité, immigration, marché, privatisations, baisse des impôts, etc.) aient peu à peu été assimilés par la « gauche » et que, toute honte bue, cette dernière en ait fait à l’instar de son aînée le signe distinctif de sa maturité politique4.
Bizarrement on ne sait trop si dans le sillage ou à la suite de la tristement célèbre trilogie travail, famille, patrie, l’invocation de la « valeur travail », la célébration de la « famille » et l’appel au « patriotisme économique » font également partie de la nécessaire modernisation des partis de gauche, et notamment du parti socialiste, ni si leur seule évocation suffira à conjurer la perte d’influence qu’ils subissent dans les classes populaires – et ce indépendamment, en partie, du mépris tout juste voilé que le parti socialiste, notamment, leur témoigne .
Que ces propos soient le fait d’une de leurs dirigeantes ne devraient de nos jours provoquer de nausée que chez ceux dont la capacité d’indignation est particulièrement atrophiée et qui ne voient dans le tournant rigoriste mitterrandien des années 83-84 qu’un mal nécessaire.
Outre le compagnonnage idéologique du parti socialiste avec la droite, on peut néanmoins encore s’indigner qu’une Madame Royal débite niaisement, à la suite d’un Monsieur Sarkozy et tant d’autres, la litanie du travail, sa « valeur », privilège de ceux qui n’ont pas à en éprouver les difficultés mais seulement à en psalmodier les vertus. Vacuité du propos qui permet de disjoindre le travail en tant que « valeur » de, notamment, ses conditions d’exercice et aussi, trivialement, de sa rémunération. On peut en effet accorder à Nietzsche que « tout ce qui a son prix est de peu de valeur »5, mais peut-on nier que tout ce qui est supposé avoir une valeur est finalement souvent de peu de « prix »6?
1. λογικω και κενω, expression d’Aristote et qui peut être traduite par: dialectique et vide, logique et vide, ou verbal et creux.
2. Pêle-mêle :
En 1993, Monsieur Strauss-Kahn confiant qu’il n’y a en gros qu’ « une » politique économique.
http://christophe.bermudes.over-blog.com/article-4002988.html.
En 1997, Monsieur Jospin se félicitant que la gauche ait enfin réduit l’écart qui la séparait encore de la droite en matière de « sécurité », sujet qui grevait sa crédibilité à gouverner.
En 2005, Messieurs Hollande et Sarkozy convolant en justes noces en couverture de Paris-Match pour célébrer le Traité Constitutionnel Européen.
Voir: Photo Paris Match
3. Ce qui ne préjuge en rien de l’historicité des « valeurs » traditionnellement associées à la droite et à la gauche et de leurs présupposés et significations.
4. Maturité politique que la « gauche » exprime par « pragmatisme » ou « réalisme » : ce qui peut être traduit en termes simples : justification et légitimation de l’ordre établi, voire sacralisation de la « réalité ».
5. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
6. Le revenu moyen des français en 2004 était de 18030€ par individu.
Source: INSEE.